lophi #14 - pourquoi vous ne devez pas être cultivés
Au programme : les clowns tristes, une supérette japonaise, et le cerveau de nos bébés 🖤
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• les liens du mois 📚
📹 vidéo - Que se passe-t-il réellement dans les dernières minutes avant une attaque nucléaire ? Dans quel état d’incertitude se retrouve plongée une unique personne, celle qui doit, finalement, prendre la décision d’appuyer sur le bouton ? C’est ce que nous propose de découvrir la génialissime chaîne Youtube Kurzgesagt - en anglais -, au design travaillé et aux sujets toujours passionnants.
Regarder cette vidéo m’a fait penser à ce passage magnifique de Bergson, où il théorise la catastrophe.
Evoquant l’entrée en guerre de 1914, et le moment précis où il a lu dans le journal « L’Allemagne déclare la guerre à la France », “ce fut comme si un personnage de légende, évadé du livre où l’on raconte son histoire, s’installait tranquillement. C’est l’événement qui a surgit dans sa vie. Malgré mon bouleversement, j’éprouvais ce que dit James : un sentiment d’admiration pour la facilité avec laquelle s’était effectué le passage de l’abstrait au concret ; qui aurait cru qu’une éventualité aussi formidable pût faire son entrée dans le réel avec si peu d’embarras. Cette impression de simplicité dominait tout.”
N’interprétons pas ce passage de Bergson comme une apologie de la guerre. Mais bien au contraire comme un étonnement naïf devant l’irruption de l’événement, avec rapidité, dans une existence bien réglée. Et c’est bien ce à quoi nous avons échappés de peu, comme nous le montre la dernière minute de la vidéo…⏰ : ≃ 8 mn.
📹 vidéo - Cette chaîne Youtube - également en anglais - s’intéresse au tableau méconnu de Jan Matejko, Stańczyk, peint en 1862.
La miniature a directement attiré mon attention devant le mystère de ce clown triste, s’échappant de la fête derrière lui et le regard perdu dans ses pensées. Le vidéaste de The Canvas décortique le tableau (en meilleure définition que sur mon image…) et le rend encore plus fascinant. Il nous permet de découvrir ou redécouvrir le Sad Clown Paradox - ou comment ceux qui doivent nous faire rire sont parfois les plus mélancoliques. ⏰ : ≃ 8 mn.
📻 podcast - J’apprécie particulièrement le podcast Vlan qui propose des interviews avec des personnalités passionnantes - en dehors du genre habituel de podcast qui pullule (et qui, je l’avoue, me sort par les yeux) où développement personnel, productivité et entrepreneuriat sont les uniques sujets abordés.
Nawal Abboub est l’invitée de cet épisode : chercheuse en neurosciences, elle s’intéresse au cerveau des bébés. En quoi est-il si puissant ? Comment se passe le processus d’apprentissage ? Comment faire pour aider son développement au maximum ? Bonne écoute ! ⏰ : ≃ 1H
• l’obsession du moment : pourquoi vous ne devez pas chercher à être cultivés
Les gens “cultivés” sont-ils ceux qui apprécient le moins l’art, finalement ?
Cela peut sembler contre-intuitif.
Mais c’est une réflexion à mener, inspirée par une analyse de l’écrivain François Bégaudeau, dans son podcast La Gêne Occasionnée (Épisode 25) - podcast que par ailleurs je vous conseille plus que vivement - une heure de critique littéraire ou cinématographique, très approfondie, sur des nouvelles sorties.
Il y propose une distinction - à mon sens fondamentale - entre culture et art.
La culture serait la consommation de l’art, mais avec “distance”, sans engagement émotionnel véritable, sans que notre vie en soit affectée. L’homme cultivé regarde un film comme il irait boire un verre entre amis : il apprécie cette pratique, en tire certainement quelque chose (une morale, un enseignement), mais en aucun cas son existence ne s’en trouvera modifiée.
L’art serait le contraire ; je m’implique dans ce je regarde, et ce que je regarde s’implique dans ma vie. L’image s'immisce dans mon existence, la colore, apporte une gamme de plus dans son nuancier, la perturbe, la casse, aussi, parfois. La culture serait un calme organisé, alors que l’art serait une hache qui brise la mer glacée en nous, pour reprendre la formule de Kafka.
Jonas Karlsson, auteur de La Facture, a saisi cet enjeu.
Le personnage principal, employé dans un vidéo-club, échange quotidiennement avec une employée d’une firme multinationale, avec qui il noue un lien d’amitié. Cette dernière, Maud, souhaite connaître son film préféré. Probablement pour enrichir son catalogue culturel ou avoir quelque chose à visionner le soir même.
Notre narrateur (non nommé) est incapable de lui répondre. Mais il peut lui citer une scène. La fin d’un film bosniaque obscur, Le Pont. D’anciens amants se retrouvent à la table d’un café, après une guerre. Ils se dévisagent, et ne font rien.
L’homme cultivé y verrait une scène comme une autre, un jalon dans la scénarisation, pourquoi pas quelques éléments esthétiques à pouvoir partager autour de lui.
Mais notre cher narrateur aime l’art, pas la culture.
Il décrit la scène ainsi à Maud :
Peu à peu, le personnage approche sa main et, un instant, leurs deux mains se frôlent, dos à dos. Un des doigts de la femme tremble. Il respire. Elle effleure son petit doigt avec le sien. C’est tout. Mais c’est joliment fait. C’est sensuel. Putain, j’en ai la chair de poule rien qu’à raconter la scène.”
Maud a ri à l’autre bout du fil. “Ça a l’air très bien.”
“Mais c’est très bien. Putain, c’est chouette.”
C’est ce “Putain” qui différencie l’art de la culture.
Non, ce n’est pas juste “très bien”. Ce n’est pas juste une belle scène. C’est un choc émotionnel qu’a ressenti le narrateur - profondément subjectif, et en cela, profondément artistique.
Une forme de perturbation inexplicable de ses facultés de raisonnement, qu’il ne saurait théoriser, et qui constitue bien, au fond, la différence entre une culture assimilée passivement et un art vécu, existentiel.
Si je peux vous souhaiter une chose pour cette rentrée, c’est donc bien de vivre des émotions artistiques intenses - qu’elles se logent dans un détail d’une image vue sur un réseau social, dans un passage émouvant d’une série télévisée, ou dans une oeuvre littéraire plus classique.
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• le livre du mois : La fille de la supérette - Sayaka Murata
📚 Une excellente découverte qui se dévore en une soirée, ce roman culte au Japon et très bref s’attaque à un beau sujet : l’anticonformisme et les injonctions de la société.
✍️ Keiko Furukura est célibataire et vendeuse dans un konbini, supérette japonaise ouverte jour et nuit. Elle n’a pas réellement de vie sociale et travaille à temps partiel, dégageant à peine de quoi joindre les deux bouts. Mais pourtant, ça lui plaît. Chose que ne comprend absolument pas son entourage. Subissant une forme de harcèlement de la part de ceux-ci, elle se demande ; dois-je finalement faire semblant d’être normale pour leur plaire ?
Dans ce monde régi par la normalité, tout intrus se voit discrètement éliminé. Tout être non conforme doit être écarté.
📚 Une réflexion profonde malgré son apparente superficialité, qui vous fera vous interroger la prochaine fois que vous aurez envie de demander à votre cousine ce qu’elle attend pour faire un enfant.
J’espère que ces découvertes vous ont plu ! Si vous souhaitez redécouvrir les anciens numéros de lophi, vous les retrouverez tous ici. Je vous souhaite une excellente rentrée, et à bientôt 👋
Merci Charlotte, choix de sujets toujours surprenants qui attisent notre curiosité, j'apprécie cette diversité ! Belle rentrée à toi, Caroline