lophi #6 - la philosophie du mariage
Au programme : la disparition des couleurs, un métavers vide et triste, l'engagement dans le couple et la fin du travail ?
✨ Bonjour à tous et bienvenue chez lophi.
Tous les mois, vous retrouverez dans votre inbox de la philosophie, oui, mais toujours accessible, et liée à d’autres thèmes - sociologie, histoire de l’art, anthropologie, littérature, cinéma…
Le but : vous initier à la philosophie du présent, mais aussi du futur. 👾
Si mon travail vous plaît, le meilleur moyen de m’aider : transférer la newsletter à vos proches et mettre un petit ❤️ sous le titre !
🏫 Quelqu’un passe le bac philo l’an prochain parmi vos proches ? Indiquez-leur le chemin : sur @elevationsfr (compte Instagram et TikTok), ils rejoindront + 10 000 élèves qui consultent des contenus de révisions et des conseils quotidiens !
J’organise aussi des week-ends de révision et des cours particuliers, en visio, pour le bac philo / pour les épreuves de philosophie et culture générale en prépa HEC. Si l’un de vos proches peut être intéressé, répondez à ce mail pour en discuter avec moi !
• les meilleurs liens de la semaine 📝
📽 vidéo & article - Vous aussi, vous vous êtes déjà fait la remarque suivante : les maisons de nos grands-parents sont toujours bien plus colorées que nos appartements actuels ? Idem pour nos photos de classe : nous portions bien plus de couleurs vives lorsque nous étions enfants. Le constat : la couleur a disparu. France Culture s’intéresse à ce phénomène et nous parle de la “chromophobie” latente de notre société. Passionnant. ⏰ : 8 minutes.
🗞 article - Quid du fameux métavers, dont nous avons entendu parler pendant des semaines ? Des fuites internes à Facebook ont montré que Zuckerberg lui-même le qualifiait de “vide” et “triste”. Personne n’y passe vraiment du temps, et les expériences à l’intérieur sont pour le moins… angoissantes. Un journaliste de The Gamer s’y est risqué et nous raconte son expérience (en anglais). ⏰ : ≃ 4 mn
Decentraland is one of the most bewildering places I’ve ever visited. I leave none the wiser as to why it exists, what its purpose is. It is a sparse landscape, and for the majority of my time there, it felt unsettling—I imagine that’s what it feels like to walk around an empty modern art museum at night. The Metaverse crashes again, and this time I do not go back.
📻 podcast - Travailler moins pour vivre mieux ? Au lendemain d’un jour férié, j’espère que cette réflexion de la philosophe Céline Marty, spécialiste d’André Gorz, au micro de Vlan, vous passionnera autant qu’elle m’a intéressée. Elle questionne les évidences de notre quotidien, à savoir que le travail est forcément un bien physique, moral et intellectuel, et nous propose une analyse décapante. A écouter ! ⏰ : ≃ 1 heure
• l’obsession du moment : la philosophie du mariage de Kierkegaard
C’est cette jeune fille-là, la seule du monde entier, qui doit être à moi et qui le sera.
Par ces mots, le philosophe Søren Kierkegaard, dans son Journal d’un séducteur, évoque peut-être sa rencontre avec celle qui lui fera tourner la tête, sa femme, Régine Olsen. Trois années après leur rencontre dans un dîner, il la demande en mariage. Pourtant, il rompt les fiançailles à peine un an plus tard.
Pourquoi avoir sacrifié cette union qu’il semblait tant vouloir, et cette femme qu’il aimait si tendrement ?
Pour cela, penchons-nous sur la vision du mariage chez Kierkegaard. Ce philosophe du XIXe siècle est un grand théoricien de l’angoisse et de la foi - et on va le voir, le thème du mariage se retrouve bien à l’intersection entre les deux.
Se marier, c'est évidemment le symbole profond d'un engagement. C'est un choix que je fais et qui ne m'implique pas simplement, mais qui implique l'autre. Et cet engagement, c'est une direction que je décide de prendre parmi une infinité d'autres choix possibles - on reconnaît ici, pour les amateurs, les prémices de l'existentialisme.
L’existentialisme en quelques mots ✨
C’est une doctrine philosophique (mais aussi un mouvement littéraire) dont on peut considérer que l’un des précurseurs est Kierkegaard, mais qui s’est ensuite déclinée chez Jean-Paul Sartre ou encore Gabriel Marcel et bien sûr Simone de Beauvoir.
Sa thèse principale = l’être humain crée son essence (ce qui fait de lui ce qui est, profondément) par ses actions. Pas de déterminisme ici : il n’est pas déterminé entièrement par sa religion, son éducation ou ses croyances. Mais au contraire, il est maître de chacun de ses actes qui définiront ce qu’il est - ce qui implique une forte liberté, créatrice et génératrice d’angoisse.
Union mal assortie, Vassili Poukirev, 1862
Si je décide de me marier, donc, j’opère un choix qui implique une responsabilité. Celui qui se marie renonce à la figure du séducteur, qui, lui, ne choisira jamais entre toutes les femmes - il ne s'engagera pas, et donc ne pourra pas devenir réellement soi, puisqu'il ne prendra pas un chemin en particulier. En tout cas selon Kierkegaard, qui a divisé l’existence en trois stades.
Le premier stade = le stade esthétique, le moins abouti. La jouissance par les sensations est le but ultime de celui qui est dans ce stade, et qui ne se préoccupe ni du bien, ni du mal.
Le deuxième stade = le stade éthique, qui se caractérise par une forme de devoir, de cohérence, et de continuité. J’ai abandonné la figure du séducteur et je sais un peu plus où je vais.
L’ultime stade = le stade religieux. J’ai la foi, même si la vie est synonyme de souffrance. C'est l'existence authentique selon Kierkegaard.
Se marier, c'est donc passer du stade esthétique à celui de l'éthique, faire un choix, en responsabilité. Et c’est ce choix qui nous permet réellement d'exister.
Mais alors, pourquoi Kierkegaard a-t-il rompu ses fiançailles ? Il a pris peur, se rendant compte qu'il liait ainsi son existence à cette jeune femme. Il n’a pas pu opérer cette transition de stade.
Et vous, quel sens donnez-vous au mariage ? Êtes-vous en phase avec l’analyse de Kierkegaard ? N’hésitez pas à me le dire en commentaire ou en réponse à ce mail 🙏
Pour approfondir :
Qui croit encore au couple ? Un podcast de France Culture.
Mettre l’amitié au centre de sa vie au détriment du mariage : un article du Monde
Un ancien épisode des Nouveaux chemins de la connaissance sur Kierkegaard & ses stades de l’existence, publié sur la chaîne Youtube Rien ne veut rien dire
• le livre de la semaine : En finir avec Eddy Bellegueule, d’Édouard Louis
Avant de devenir Édouard Louis, l’auteur de ce roman s’appelait Eddy Bellegueule. Il a grandi dans un petit village de Picardie et s’est fait rejeter pour ses “manières” d’homosexuel. Il relate ici, dans un roman autobiographique, un monde de violence et de misère, où chacun est condamné à une reproduction sociale. Monde qu’il finira par fuir, pour devenir ce qu’on sait qu’il est aujourd’hui : étudiant de l’École normale supérieure, éditeur, spécialiste de Pierre Bourdieu (dont on sent l’influence dans le livre) et surtout, écrivain traduit dans le monde entier.
Ce premier roman, très court, est bluffant par sa superposition de deux registres de langue - celui de l’auteur et celui de son milieu d’origine, mais aussi par son acuité dans l’observation des moeurs de ceux avec qui il a grandi, qu’il observe comme étranger mais dont il s’est malgré lui imprégné. Extrêmement fort et vrai, je vous en conseille vivement la lecture, que vous pourrez poursuivre par Histoire de la violence du même auteur ou encore Qui a tué mon père.
J’espère que ces lectures vous ont plu ! Si vous souhaitez redécouvrir les anciens numéros de lophi, vous les retrouverez tous ici. Je vous souhaite une belle semaine, et à bientôt 👋