lophi #12 - pourquoi on a besoin de kitsch
Au programme : le cinĂ©ma chez soi vs en salle, la philo du kitsch, Kundera, et la notion de puissance chez Nietzsche đ
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âą les liens du mois đ
đč vidĂ©o - Regarder un film chez soi vs regarder un film en salle ; quelle diffĂ©rence ? - Mon interview chez Brut
Petit instant autopromo mais jâai eu la chance dâĂȘtre interviewĂ©e par Brut Ă lâoccasion du festival de Cannes pour mâinterroger sur les diffĂ©rences philosophiques entre un visionnage en salle, entourĂ© par dâautres personnes, et un visionnage solitaire des films grĂące aux plateformes de streaming.JâespĂšre que cela vous intĂ©ressera ! â° : â 6 mn.
đ article - Quels morts pleurons-nous ?
Cet article de Philosophie Magazine, Ă©crit par Clara Degiovanni, est littĂ©ralement passionnant. Il nâest disponible que pour les abonnĂ©s - mais regardez les offres dâabonnement qui sont souvent accessibles pour ce mĂ©dia, ça vaut le coup !
La question quâelle se pose ici est la suivante ; sommes-nous capables de pleurer de la mĂȘme maniĂšre chacun des morts de ce monde, Ă la fois les Ukrainiens et les Russes morts au combat, Ă la fois ceux qui vivent prĂšs de chez nous et les plus Ă©loignĂ©s ?
DĂ©crivant lââeffet de victime identifiableâ et notre besoin de nous sentir proche du disparu pour ressentir lâempathie, tout en analysant le discours mĂ©diatique construisant des victimes auxquelles on peut sâidentifier, les larmes individuelles sont dĂ©cortiquĂ©es dans une dĂ©marche transdisciplinaire et recherchĂ©e.
â° : â 10 mn.
đč vidĂ©o - Revaloriser la notion de puissance ?
Cette vidĂ©o - en anglais - dâAcademy of Ideas est dĂ©diĂ©e Ă la pensĂ©e de la puissance chez Nietzsche. Selon le philosophe, nous ne devrions pas partir Ă la recherche du bonheur, mais bien de la puissance. Non pas pour contrĂŽler autrui (qui est une preuve de faiblesse, et non de puissance !) mais bien pour se fixer des buts hauts, et nobles, et pour transcender pas Ă pas les diffĂ©rentes rĂ©sistances qui peuvent nous limiter.Qu'est-ce que le bonheur ? Le sentiment que la puissance croĂźt, qu'une rĂ©sistance est en voie d'ĂȘtre surmontĂ©e.
Nietzsche, La Volonté de Puissance
â° : â 12 mn.
âą lâobsession du moment : pourquoi nous avons besoin de kitsch
On connaĂźt tous des objets kitsch.
Des bibelots criards, objets de pacotilles, tels des encriers en forme de revolver, ou encore des boules Ă neige renfermant le ColisĂ©e Ă lâintĂ©rieur, que lâon achĂšte pour rapporter un souvenir de Rome. Souvent, les intĂ©rieurs de grand-mĂšre en sont remplis.
On peut voir le kitsch, mais aussi lâentendre. La musique dâascenseur, par exemple, en est un exemple.
Mais pourquoi sây intĂ©resser, finalement ?
Parce que ces objets sont omniprésents dans les intérieurs et sont, initialement, le symbole du mauvais goût.
Ils permettent donc de tracer une limite entre le beau et le laid, lâagrĂ©able et le dĂ©sagrĂ©able, et de repenser Ă travers ce prisme la question de lâesthĂ©tique - question hautement philosophique ! (voilĂ pourquoi je donne ce sujet Ă mes Ă©tudiants en prĂ©pa HEC, pour leurs examens orauxâŠ)
La notion de kitsch nous permet Ă©galement de questionner notre propension Ă prononcer des jugements de valeur. Lorsque je dĂ©signe quelque chose comme Ă©tant kitsch, je me promeus en juge du bon goĂ»t et du mauvais goĂ»t, me confĂ©rant ainsi une forme de sentiment de supĂ©rioritĂ© (comme pour le qualificatif âcâest beaufâ - qui ne lâa pas dĂ©jĂ employĂ© ?)
đ Un petit historique du kitsch
Kitsch vient de lâallemand kitschen, soit ramasser la boue des rues - en cela, les objets kitsch nâont pas de rĂ©elle valeur esthĂ©tique, et sont mĂȘme, parfois, considĂ©rĂ©s comme laids. Ils se sont dĂ©mocratisĂ©s dans le sillage dâune production industrielle de masse - arrivant dans les foyers voulant âdevenir bourgeoisâ et accumuler des biens superflus, sans aucune utilitĂ© fonctionnelle.
Lâart est alors transformĂ© en objet de dĂ©coration. Symbole de la sociĂ©tĂ© de consommation, le kitsch est trĂšs souvent accusĂ© de dĂ©valuer le grand art. Il nie toute hiĂ©rarchie dans lâart - vous proposant dâacheter une reprĂ©sentation modifiĂ©e de la chapelle Sixtine, version miniature, Ă placer dans votre cuisine.
Vient alors une idĂ©e au dĂ©but du XXe siĂšcle, dĂ©veloppĂ©e par Pazaurek, historien de lâart - Ă©duquons le public au goĂ»t et au mauvais goĂ»t. Les objets avec lesquels nous vivant ayant, selon Pazaurek, une forte influence sur notre bonheur, notre comportement, et notre capacitĂ© de jugement, il sâagit de faire comprendre aux citoyens que certaines choses font partie du laid, et ne doivent pas ĂȘtre intĂ©grĂ©es Ă leurs intĂ©rieurs.
Il propose mĂȘme dâinclure un cabinet des horreurs dans chaque musĂ©e, pour faire voisiner lâexemple et le contre-exemple.
đš Sauver le kitsch ?
Mais le kitsch, câest finalement autre chose que la laideur ou le mauvais goĂ»t. Câest aussi le mignon, le sentimental, le rĂ©gressif, lâinfantile. Les magnets souvenirs sur le frigo de nos grand-mĂšres ne sont pas laids - ils sont tendres, nous rappellent Ă des souvenirs, et mettent de la joie dans des dĂ©corations aujourdâhui trĂšs Ă©purĂ©es et oubliant les couleurs (on en parlait dans cette newsletter prĂ©cĂ©dente de lophi que je vous conseille !).
Le kitsch ne peut-il pas ĂȘtre reconnu comme provoquant Ă©galement une autre forme de plaisir esthĂ©tique, peut-ĂȘtre moins noble mais aussi agrĂ©able ?
Si ma grand-mĂšre aime ces objets, peut-on rĂ©ellement dire que cette Ă©motion nâa pas le droit dâĂȘtre esthĂ©tique ? Câest lâartiste Jeff Koons, connu pour ses ballons gonflables gĂ©ants, qui le prĂŽne ; âJe veux aider (le public) Ă Ă©liminer les sentiments de culpabilitĂ© et de honte, que la banalitĂ© lui inspireâ. Le public a le droit dâaimer le banal. Et peut-ĂȘtre que le kitsch dâaujourdâhui est le gĂ©nie de demain ?
đ Pour approfondir, nâhĂ©sitez pas Ă regarder une vidĂ©o que jâai Ă©crite sur âPourquoi les siĂšges des transports sont-ils moches ?â dans un ancien mĂ©dia co-fondĂ© par Hugo DĂ©crypte. On y touche Ă la question de la frontiĂšre entre bon goĂ»t et mauvais goĂ»t !
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âą le livre du mois : LâimmortalitĂ© de Milan Kundera đ
đ Jâai dĂ©couvert une oeuvre moins connue de Milan Kundera, LâimmortalitĂ©, que je vous conseille vivement - tout comme Lâinsoutenable lĂ©gĂ©retĂ© de lâĂȘtre, son roman le plus cĂ©lĂšbre, ou encore Le livre du rire et de lâoubli qui mâavait beaucoup marquĂ©e.
âïž Le style de Kundera est difficile Ă dĂ©finir ; derriĂšre ses apparences simple et accessible, il propose de nombreuses rĂ©flexions philosophiques, traversant des faits historiques mĂ©connus, et mĂ©langeant fiction et non-fiction. Ses livres, Ă la structure souvent dĂ©cousue (il mâest donc difficile de vous raconter lâhistoire de lâImmortalitĂ©), nous font pĂ©nĂ©trer dans lâintĂ©rioritĂ© humaine, mĂ©langeant grande histoire et petites histoires.
Pour vous donner envie de parcourir ce livre, en voici un extrait ;
Je me rappelle, cela devait se passer vers la fin de mon enfance : Ă force de mâobserver dans la glace, jâai fini par croire que ce que je voyais câĂ©tait moi. Je nâai quâun vague souvenir de cette Ă©poque, pourtant je sais que dĂ©couvrir mon moi a dĂ» ĂȘtre enivrant. Mais plus tard, un moment vient oĂč lâon se tient devant la glace et lâon se dit ; est-ce que câest vraiment moi ? et pourquoi ? pourquoi devrais-je me solidariser avec ça ? que mâimporte ce visage ? Et Ă partir de lĂ , tout commence Ă sâeffondrer. Tout commence Ă sâeffondrer.
JâespĂšre que ces dĂ©couvertes vous ont plu ! Si vous souhaitez redĂ©couvrir les anciens numĂ©ros de lophi, vous les retrouverez tous ici. Je vous souhaite une belle semaine, et Ă bientĂŽt đ